Les Glaces à la vanille -

Lui est âgé, elle a vingt ans. Ils sont à un arrêt de bus, il fait beau temps et ils ont tous les deux des lunettes de soleil. Il a une casquette. Elle a un piercing sur la lèvre et un autre dans la narine.

Elle arrive, lui est déjà assis.


Lui :
- Il vient de partir.

Elle :
- Oui, j’ai hésité à courir après, et puis finalement, j’ai le temps.



Elle s’assoit à coté de lui.



Lui :
- Tant mieux. Je ne l’attends pas, moi. Je me repose.


Elle :
- Je vais faire pareil. Avec ce soleil, c’est agréable.


Silence.


Lui :
- Vous habitez le quartier ?


Elle :
- Pas du tout. Court silence. J’habite en centre ville.


Lui :
- Ah ! en centre ville.


Elle :
- Oui.


Silence plus long.


Lui :
- Que faites-vous dans la vie ?


Elle :
- Je suis étudiante.

Lui :
- Dans quel domaine ?

Elle :
- Le théâtre.

Lui :
- Oh ! c’est bien ça.

Elle :
- Oui.


Bref silence.


Lui :
- Sur le campus ?

Elle :
- Non, en centre ville.

Lui :
- D’accord.


Long silence.


Lui :
- Je ne sais pas tous les combien il passe, le bus.

Elle :
- Moi non plus.

Lui :
- Tous les quarts d’heure, sans doute.


Elle se lève et va regarder les horaires.


Lui :
- Ce n’est pas important, je ne prends pas le bus de toutes façons !

Elle :
- C’est bien ça : tous les quarts d’heure.

Lui :
- C’est bien ce que je pensais.


Long silence.


Lui :
- Il fait beau aujourd’hui.

Elle :
- Oui, vraiment beau. C’est agréable.

Lui :
- Vous avez bien fait de ne pas courir après votre bus : attendre au soleil, c’est mieux.

Elle :
- C’est vrai.


Silence. Il la regarde. Elle lui est toujours de profil.


Lui, en touchant sa propre lèvre :
- Ça ne vous fait pas mal ?

Elle, souriant :
- Non.


Elle se retourne vers lui, lui révélant son visage de face.


Elle :
- Celui qui fait le plus mal, c’est au nez.

Lui, grimaçant :
- Oh ! je ne l’avais pas vu celui-là. Ce n’est pas gênant, quand même ?

Elle :
- Absolument pas, non.

Lui :
- Je ne sais pas si j’aurais aimé que ma femme ait ça sur la bouche … ni dans le nez.

Elle :
- On ne me l’a jamais reproché.

Lui :
- Complimenté ?

Elle :
- Plutôt ça que le contraire, oui.

Lui :
- Ça doit faire partie de l’écart générationnel.

Elle :
- Sans doute. Je ne sais pas.


Silence.


Elle :
- Je n’aime pas trop l’idée que des personnes soient différentes, d’entrée de jeu, à cause de leurs âges.

Lui :
- Ça force pourtant la différence.

Elle :
- Pourtant, peut-être que vous, vous avez plus de points communs avec moi que quelqu’un de mon âge.

Lui :
- Peut-être. Je ne sais pas.

Elle :
- Qu’aimez-vous dans la vie ?

Lui, hésitant :
- J’aime les dimanches en famille, j’aime regarder Question pour un champion sur France 3 avant de manger et j’aime répondre aux questions avant les joueurs. Silence. Mais tout ça, c’était mieux quand Josy était encore là parce qu’elle faisait attention à ce que je n’ai pas froid devant ce téléviseur, parce qu’elle préparait le poulet-frites dominical pour les petits enfants et elle faisait attention à ce qu’il reste toujours leurs glaces préférées dans le réfrigérateur, sinon, elle en recommandait chez Thieriet pour eux. Nous ne mangions jamais de glace nous. A part les buches de Noël peut-être, mais je préfère celles avec la mousse au praliné.

Elle :
- Les glaces, elles sont à quoi ?

Lui :
- Je ne sais pas, je n’aime ça.

Elle :
- Ma Grand-mère, elle achète toujours nos glaces préférées aussi. Et puis des esquimaux à la vanille parce que ce sont les préférées de mon Grand-père. Il ne mange pas les notre, juste ses esquimaux à la vanille. Ce n’est pas toujours de chez Thieriet qu’elles viennent mais papi préfère les esquimaux à la vanille de chez Thieriet.

Lui :
- Il parait, oui, que les glaces de chez Thieriet ne sont pas mauvaises. Mais comme je n’aime pas les glaces … Non, ça me fait mal aux dents les glaces, c’est trop froid.

Elle :
- Avec mes cousines, on aime bien les glaces enrobées, avec un truc qui pétille sur la langue. On se fait écouter, comme ça. Elle se pense vers lui et entrouvre sa bouche sur son oreille. Et là, on entend bien que ça pétille.

Lui :
- Peut-être que si Josy m’avait fait gouter ces glaces, je les aurais aimé. Quel goût ont-elles ?

Elle :
- Elles ont goût de … c’est un mélange entre coca et fraise. Ou fruits rouges, peut-être.

Lui :
- J’aurai peut-être aimé le pétillant, mais pas le goût, c’est certain.

Elle :
- Dommage. Se sont de bonnes glaces.


Silence.


Lui :
- Et vous, qu’aimez-vous, à part les glaces pétillantes ?

Elle :
- J’aime bien être sur scène.

Lui :
- Ah ! d’où les études théâtrales !

Elle :
- Oui. Il n’y a pas de hasard là-dessus. J’aime jouer, apprendre des textes, être mise en scène. Je préfère jouer que mettre en scène. Mais j’aime bien aussi travailler avec des enfants : leur partager ce que j’aime, et qu’ils fassent pareil.

Lui :
- Il n’y avait pas d’enfant à l’arrêt de bus, donc vous m’avez pris moi !

Elle, riant :
- Haha ! Non, c’est vous qui m’avez adressé la parole en premier.

Lui :
- Certes, mais c’est vous qui m’avez demandé ce que j’aimais dans la vie.

Elle :
- Oui, vous m’avez dit une bêtise grosse comme le monde, sur les différences intergénérationnelles. Il fallait bien que je vous prouve que c’était une bêtise.

Lui :
- Vous trouvez que nous nous ressemblons ?!

Elle :
- Non, mais je vous aime bien.

Lui :
- Ah oui ?

Elle :
- Oui !


Silence. Elle se lève pour regarder à nouveau les horaires.


Lui :
- Il ne devrait plus tarder maintenant.

Elle :
- En effet, il arrive au loin, là bas. Je le vois.

Lui :
- Vous ne pouvez plus le rater maintenant.

Elle :
- Heureusement, ça fait un quart d’heure que je l’attends !

Lui :
- J’aimerai bien que vous le ratiez encore, je crois.

Elle :
- Ah oui ?

Lui :
- Oui.

Elle :
- Pourquoi ?

Lui :
- Parce que je vous aime bien aussi, je crois.

Elle :
- Vous voyez, l’âge ne met pas tant d’écart que ça. J’avais raison.

Lui :
- Peut-être.

Elle :
- Il arrive maintenant.


Elle se lève. Se retourne vers lui.


Elle :
- Mon grand-père, celui qui aime les esquimaux à la vanille, il est mort. J’aurais aimé qu’il n’aime pas les glaces comme vous, qu’il soit toujours là, et même comme vous, à l’arrêt de bus, sans attendre le bus. Comme vous.

Lui :
- Au revoir jeune fille.

Elle :
- Au revoir monsieur. Bonne journée.

Lui :
- Au plaisir.


Elle part, avec le bus.

Slip humide -

Tu vois, le polystyrène, c’est comme la neige qu’il tombait cette nuit là. Tu sais, quand on a des cadeaux, il y a du polystyrène dans le carton, et quand on frotte deux bouts ensemble, ça fait un bruit que je n’aime pas bien. Mais ça fait de la neige aussi. Alors, il y avait un géant qui frottait deux morceaux de polystyrène l’un contre l’autre au dessus de nous. Il s’amusait bien lui là haut, mais moi j’avais froid. Tu sais, quand on mange une glace à la pistache ou à la fraise – à la vanille aussi – et que la gorge devient toute froide, ben c’est comme ça que j’avais froid moi, sous la neige du géant.

Et puis on se promenait, il faisait nuit noire. Tu vois, si j’éteins la lumière : il faisait noir comme ça. Les petites étoiles, là haut, c’étaient les veilleuses du géant. Pour qu’il ait autant de veilleuses, je pense que ça devait être un géant qui a peur du noir. C’est bizarre un géant qui a peur du noir. Un grand monsieur comme lui ne devrait avoir peur de rien. Mais lui, avec ses veilleuses toutes allumées en même temps, c’était forcément un géant qui avait peur du noir.

Il y avait des voitures partout. Elles roulaient vite, Des fois, elles se cognaient contre d’autres voitures qui roulaient vite aussi, mais elles ne se faisaient jamais mal. Elles s’entrechoquaient sans jamais se faire de mal. Le petit garçon qui les conduisait n’a jamais du être une voiture pour les manipuler comme ça. Je n’aimerai pas être une des voitures de ce petit garçon là, moi. Ca doit faire mal d’être une voiture de ce petit garçon.

Il y avait de la musique, mais je ne sais pas si tout le monde l’entendait ou si ce n’était que moi. Je ne sais pas si le géant l’entendait, ni si le petit garçon qui bougeait les petites voitures l’entendait. C’était une jolie musique sans parole, comme ça « la lala la lala la lalalala la, la lala la lala, la lala lalala lala » (sur l’air de Once Upon a December). Tu ne la connais pas toi cette chanson. Elle est belle pourtant. Il faudrait que tu la connaisses. Elle venait d’une boîte à musique je crois. Je ne sais pas qui l’a remonté, la boîte à musique. C’était peut être moi … En tous cas, la boîte à musique, avec le polystyrène et les veilleuses du géant c’était beau.



Et puis il y a eu un grand CLAC ou CRAC, je ne sais plus bien. Mais c’était un grand et gros bruit qui fait mal aux oreilles, qui fait plus mal aux oreilles encore que deux bouts de polystyrène qui font la neige. Et puis la musique s’est accélérée d’un coup, et les voitures roulaient de plus en plus vite, et les veilleuses du géant se sont éteintes. Je ne voyais plus rien et j’avais peur je crois. Oui, j’avais peur c’est vrai. Il y a eu un deuxième bruit désagréable, mais il était lent et très long, comme un BIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIP, ou un MIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIC, je ne sais plus. C’était aigu et je n’aimais pas ce bruit, surtout que j’étais dans le noir. Là, les voitures ont disparues et la neige s’est arrêtée de tomber : le petit garçon était parti avec le géant. Ils m’ont laissé tout seul ici dans le noir. J’ai pleuré. Ben oui, j’avais peur je t’ai dit. J’avais peur, j’avais peur. J’ai crié mais personne ne m’entendait, et aucun son ne sortait de ma bouche. J’ai pleuré en criant et mes larmes ont mouillé mon pantalon.



Et la lumière s’est allumée.